fbpx

Pancréas artificiels « DIY » (ou « faits maison ») : des experts canadiens se prononcent

Les pancréas artificiels non commerciaux, aussi appelés « faits maison », « DIY » (pour Do It Yourself) ou encore « open-source », gagnent en popularité, et ce, malgré l’absence de réglementations ou d’autorisations dans de nombreux pays. Il est difficile de quantifier exactement l’engouement pour ces dispositifs d’administration d’insuline conçus par et pour les personnes vivant avec le diabète de type 1 (DT1), car ils ne sont pas commercialisés. On estime toutefois qu’il y a entre 10 000 et 30 000 utilisateurs à travers le monde, dont environ 2 500 Canadiens, d’après les données recueillies auprès des groupes de soutien en ligne.

Une analyse des données actuelles du registre BETTER montre que sur 3 101 personnes de 14 ans et plus vivant avec le DT1, 1 271 utilisent une pompe à insuline (de tous types). De ce nombre, 401 utilisent un pancréas artificiel commercial ou système d’administration de l’insuline en boucle fermée (p. ex. Medtronic 780g, Tandem t:slim avec Control-IQ) et 35 un système DIY. 

Ces dispositifs faits maison – qui combinent une pompe à insuline, un capteur de glucose et un logiciel en code source libre qui ajuste en permanence l’insuline en fonction du taux de sucre – ont vu le jour grâce au mouvement Open Artificial Pancreas (OpenAPS) ou mouvement DIY. Les adeptes de ce mouvement cherchaient à obtenir des résultats de glycémie optimaux avec des technologies efficaces, facilement et rapidement accessibles, à portée de bourse et répondant à leurs besoins. Les utilisateurs apprécient particulièrement la plus grande flexibilité qu’offrent les pancréas artificiels DIY comparativement aux systèmes commerciaux, notamment la possibilité de personnaliser davantage de paramètres de contrôle de la glycémie – cibles de glucose, sensibilité à l’insuline, bolus de correction automatique et autres – et de faire des mises à jour fréquentes. Les systèmes DIY peuvent, en outre, gérer un repas dont les glucides n’auraient pas été « annoncés » au système. 

Toutefois, les professionnels de la santé demeurent hésitants à discuter de cet outil ou même à accompagner les personnes qui les utilisent, notamment par manque de consensus scientifique sur leur efficacité, mais aussi sur leur sécurité. Les choses pourraient cependant bien changer au Canada puisqu’un groupe d’experts réunis par Diabète Canada (médecins, chercheurs et patients partenaires dans le domaine du diabète) propose d’encadrer l’utilisation des pancréas artificiels DIY pour les personnes intéressées.

Un premier consensus canadien

La prise de position de Diabète Canada rejoint le consensus international émis en 2021. Les experts canadiens soutiennent que les études observationnelles, ainsi que les expériences des utilisateurs, fournissent assez de données probantes pour conclure que les systèmes DIY sont plus efficaces et sécuritaires que les modalités habituelles de traitement (pompes non automatisées comme Omnipod Dash ou injections multiples d’insuline), et pourraient même être équivalentes, sinon supérieures, aux versions commerciales approuvées au pays. 

Ils sont donc d’avis que, même s’il manque le plus haut niveau de preuves (soit des essais randomisés contrôlés) et une autorisation d’utilisation par Santé Canada, les professionnels de la santé doivent présenter les pancréas artificiels DIY à leurs patients comme une des options possibles disponibles pour administrer de l’insuline, tout comme les pancréas artificiels commerciaux, les pompes à insuline, les stylos à injection ou les seringues.

Les pancréas artificiels DIY, c’est quoi?

Les systèmes DIY sont basés sur un algorithme de contrôle conçu par et pour des personnes vivant avec le DT1 ou leurs aidants familiaux. Ces algorithmes dits open source (code source libre, en français) sont disponibles gratuitement et peuvent être employés avec n’importe lequel des systèmes de surveillance de la glycémie en continu (SGC) et n’importe quelle pompe disponible au Canada. Il y a trois algorithmes majoritairement utilisés à travers le monde, soit AndroidAPS, OpenAPS et Loop. À la différence des systèmes commerciaux, l’algorithme n’est pas intégré dans la pompe, mais dans une application cellulaire qui sert de tour de contrôle pour tout le système DIY.

Plusieurs Canadiens vivant avec le DT1 adoptent les pancréas artificiels DIY pour plusieurs raisons. Ceux qui vivent en région éloignée n’ont pas toujours accès à un professionnel de la santé spécialisé en DT1. Ils vont donc se tourner vers la communauté DIY pour apprendre à gérer leur diabète avec un système DIY. Par ailleurs, plusieurs Canadiens n’ont pas accès financièrement aux systèmes commerciaux. En effet, plusieurs provinces, dont le Québec et le Nouveau-Brunswick, ainsi que plusieurs assurances privées ne couvrent pas les frais des pompes pour les adultes. L’option DIY peut devenir plus économique pour certains, car elle combine une pompe souvent hors garantie, moins dispendieuse, et un des systèmes de surveillance de la glycémie en continu (SGC) couverts par leur régime public ou leur assurance privée.

Ces systèmes sont-ils fiables?

Les experts canadiens ont passé en revue les études internationales portant sur les systèmes DIY. Celles-ci ont analysé les données et les expériences rapportées par des utilisateurs de systèmes DIY pour les comparer à celles des utilisateurs de pompes non automatisées et des injections multiples. Résultat : les utilisateurs de systèmes DIY passent plus de temps dans la cible de taux de sucre optimal (soit entre 3,9 et 10,0 mmol/L). Plus particulièrement, les parents d’enfants vivant avec le DT1 ont rapporté que l’utilisation d’un pancréas artificiel DIY améliore très significativement la qualité de vie et le sommeil de la famille, ainsi que la gestion quotidienne des glycémies de leurs enfants. 

Une étude menée au Québec a suivi 26 utilisateurs de systèmes DIY et 46 utilisateurs de systèmes commerciaux pendant trois mois. En moyenne, les participants avec un système DIY ont passé 17 % plus de temps dans la cible. Ils ont également fait moins d’hyperglycémies.

Les inquiétudes liées aux systèmes DIY

Selon les analyses et les enquêtes des experts de Diabète Canada, 73 % des professionnels de la santé interrogés se sentent à l’aise et aptes à suivre et à soutenir leurs patients qui utilisent un pancréas artificiel commercial, contre seulement 22 % quand il s’agit d’un système DIY.  

Ils mettent de l’avant plusieurs facteurs pour expliquer leur manque de confiance envers les systèmes DIY : 

  • Le manque de connaissance sur la technologie : il est difficile pour les professionnels de la santé d’avoir de l’information – et encore plus des formations – sur le fonctionnement des algorithmes. 
  • Le manque de données scientifiques de haute qualité (essais randomisés) sur le sujet.
  • Des préoccupations médico-légales : aucun algorithme utilisé pour ces systèmes n’est approuvé au Canada (aux États-Unis, Loop est le premier algorithme à avoir obtenu une approbation par la FDA en janvier 2023). Il faut savoir qu’une approbation encadre l’utilisation d’un médicament ou d’un dispositif et donne donc un cadre légal pour la prescription.
  • Les modèles de SGC et pompes utilisés dans le système DIY peuvent être hors garantie ou non conçus pour fonctionner ensemble. 
  • L’utilisation d’un code informatique disponible en ligne avec risque de piratage et problèmes de confidentialité des données.
  • Le sentiment d’inconfort lorsque la relation médecin-patient est perturbée par l’expertise du patient concernant son système DIY.

Selon le récent consensus de Diabète Canada, les inquiétudes reliées au manque de données n’ont plus leur place, alors que de multiples études observationnelles sur les systèmes DIY, incluant plus de 55 millions d’heures de données réelles, suggèrent des effets bénéfiques autant sur les glycémies que sur la diminution de la charge mentale et la qualité de vie en général. Les pompes DIY ont même été jugées sécuritaires et efficaces chez les femmes enceintes : davantage de glycémies dans la cible sans hypoglycémies sévères.  

Le DT1 est une condition DIY

On dit souvent que le DT1 est une condition DIY : les personnes qui vivent avec le DT1 apprennent à gérer quotidiennement leurs glycémies en lien avec leur alimentation, l’exercice physique et leur mode de vie. Ils font des tests quotidiens pour comprendre quelle stratégie fonctionne le mieux pour eux, ce qui les rend particulièrement savants concernant leur condition individuelle. 

Pour soutenir cette autonomie, les experts de Diabète Canada recommandent que les systèmes DIY fassent partie intégrante de l’arsenal de traitements proposés aux patients, d’autant plus qu’il existe un risque qu’un utilisateur de système DIY cesse de consulter son équipe médicale si cette dernière ne le soutient pas dans son choix.

Les experts soulignent cependant que la responsabilité du côté technique (notamment le codage) revient à la personne qui choisit d’utiliser ces systèmes DIY. Les professionnels de la santé peuvent cependant aider au paramétrage des options, qui ressemblent souvent à celles utilisées dans les pompes commerciales, bien qu’elles soient davantage personnalisables. 

Les systèmes DIY sont en constante évolution et il faut s’attendre à ce que le nombre d’utilisateurs augmente. La partie technique (installation, compréhension de l’algorithme et de l’application) qui peut décourager certaines personnes vivant avec le DT1 à essayer les pancréas artificiels DIY est très bien expliquée par de la documentation en ligne et des tutoriels sur YouTube. Les algorithmes s’améliorent aussi sans cesse, se simplifient et deviennent de plus en plus accessibles techniquement pour davantage de personnes. Enfin, la communauté d’entraide est très active sur les réseaux sociaux. 

Les pancréas artificiels DIY ont donc leur place dans le traitement du DT1. Les experts prévoient même que les pancréas artificiels (DIY ou commerciaux) vont devenir l’outil majoritaire d’ici quelques années. Ce qui n’empêche pas que certaines personnes vont continuer à préférer les injections multiples ou la pompe non automatisée. 

 

Références :

Diabetes Canada Clinical Practice Guidelines Expert Working Group. (2023). Do-it-yourself Automated Insulin Delivery: a Position Statement. Canadian Journal of Diabetes, 47(5), 381-388. https://www.canadianjournalofdiabetes.com/article/S1499-2671(23)00127-2/fulltext

Lebbar, M. et al.(2023). Patient-Reported Outcomes of Adults with Type 1 Diabetes Using Do-It-Yourself Compared with Commercial Automated Insulin Delivery Systems. Diabetes, 72 (Supplement 1), 900-P. https://doi.org/10.2337/db23-900-P.

Wu, Z. et al. (2023). Do-It-Yourself Automated Insulin Delivery (AID) Systems Are Noninferior to Commercial AID Systems in Glucose Management among Adults with Type 1 Diabetes, Diabetes 72 (Supplement 1), 274-OR. https://doi.org/10.2337/db23-274-OR.

Nir J., et al. (2023). Open-source automated insulin delivery systems (OS-AIDs) in a pediatric population with type 1 diabetes in a real-life setting: the AWeSoMe study group experience. Endocrine, 81(2), 262-269. DOI: 10.1007/s12020-023-03398-4.

Écrit par : Nathalie Kinnard, rédactrice scientifique et assistante de recherche

Révisé par :

  • Maha Lebbar, M.D., étudiante à la maîtrise
  • Sarah Haag, RN. BSc.
  • Rémi Rabasa-Lhoret, M.D., Ph. D.
  • Anne-Sophie Brazeau, Dt. P., Ph. D.
  • Jacques Pelletier, Andréane Vanasse, Sonia Fontaine, Aude Bandini, Claude Laforest, Michel Dostie, Amélie Eloundou, patients-partenaires du projet BETTER

Révision linguistique réalisée par : Marie-Christine Payette