Les «pancréas artificiels», tels qu’ils sont appelés dans le langage commun, sont des systèmes permettant d’administrer une partie de l’insuline de façon automatique. Ils comprennent une pompe à insuline, un lecteur de la glycémie en continu, et un algorithme permettant de moduler automatiquement le débit d’insuline en fonction de la glycémie.
Le nom «pancréas artificiel» peut cependant être trompeur, car des interventions sont tout de même requises de la part de l’utilisateur (p.ex. entrer le nombre de glucides dans la pompe lors du repas). De plus, ce dispositif ne remplace pas toutes les fonctions d’un pancréas mais se limite à la fonction la plus importante: administrer de l’insuline pour réguler la glycémie. Pour cette raison, ils sont appelés systèmes d’administration de l’insuline en boucle fermée hybride.
On en distingue 2 sortes:
- Les systèmes de boucle fermée hybrides «commerciaux»: Développés par des compagnies, ces systèmes font l’objet d’études et du processus d’approbation de Santé Canada avant d’ être commercialisés. (p.ex. Tandem Control IQ ou Medtronic 670/770G)
- Les systèmes de boucle fermée «non-commerciaux» sont également appelés «DIY- Do it yourself» ou «faits maison» cependant, le consensus mentionne que ces termes peuvent être péjoratifs. Ces systèmes sont développés par des personnes vivant avec le diabète de type 1 (DT1) ou des membres de leur famille, grâce à des logiciels en libre accès (p.ex. OpenAPS, AndroidAPS, Loop ou FreeAPS). Comme les systèmes «non-commerciaux» ne sont pas approuvés par Santé Canada, il n’existe pas de programme de formation, ou de soutien à la clientèle, et les professionnels de la santé ne sont pas toujours en mesure de conseiller les personnes les utilisant (ou souhaitant les utiliser).
Récemment, un premier consensus a été émis par des experts, concernant les systèmes «non-commerciaux». Ce consensus fait le point sur les dispositifs existants, explique en quoi cette méthode de traitement peut être une option thérapeutique sûre et efficace pour les personnes vivant avec le diabète de type 1 (DT1), et énonce des recommandations pour les professionnels de la santé.
Des systèmes qui offrent plus de flexibilité
Dans le consensus, certains aspects techniques des systèmes «commerciaux» sont comparés aux systèmes «non-commerciaux».
- Pompe et lecteur de la glycémie en continu
À l’heure actuelle, les systèmes «commerciaux» se limitent à des combinaisons de pompes et de lecteurs de la glycémie en continu spécifiques (p.ex. Medtronic 770G communique seulement avec le lecteur Medtronic Enlite/Guardian et Tandem Control IQ seulement avec Dexcom G6). Les systèmes «non-commerciaux» offrent, en revanche, la possibilité de faire communiquer les différents lecteurs de la glycémie en continu avec les différentes pompes à insuline.
- L’algorithme
Pour rendre leur utilisation plus simple, les systèmes «commerciaux» comportent des limites dans l’ajustement des paramètres (p.ex. la glycémie «cible» prise en compte pour l’ajustement automatique du débit basal ne peut pas être modifiée). Ces systèmes sont en quelque sorte un système de prêt à porter.
Avec les systèmes «non-commerciaux», de multiples paramètres peuvent être modifiés, permettant d’adapter plus facilement l’administration de l’insuline aux besoins de la personne, ou à des nouvelles insulines (p.ex. avec une durée d’action plus courte). Ces systèmes sont donc des modèles sur mesure.
En offrant davantage de liberté, les systèmes “non-commerciaux” permettent ainsi de répondre aux besoins particuliers (p.ex. grossesse, activité physique, jeunes enfants) que les systèmes «commerciaux» ne peuvent pas toujours combler. Cependant, ces systèmes ne subissent pas le processus très rigoureux de validation auquel les systèmes «commerciaux» doivent se soumettre.
Des systèmes sécuritaires mais complexes
Le consensus indique que les logiciels en libre accès sont sécuritaires, et optimisés pour améliorer la gestion du diabète en diminuant les hyperglycémies sans majorer le risque d’hypoglycémie. Bien que peu d’études aient été consacrées à ces systèmes, l’expérience montre qu’ils fonctionnent bien.
Même s’il n’existe pas de de programme de formation, ou de soutien à la clientèle, l’utilisateur peut se tourner vers l’équipe de développement des logiciels, ou encore vers les communautés en ligne (ce modèle communautaire permet de notifier les problèmes et d’améliorer rapidement les logiciels). Il est fréquent qu’une personne souhaitant débuter soit formée par une personne utilisant déjà ce système.
En revanche, la flexibilité qu’offrent ces systèmes peut rendre leur utilisation plus complexe, d’autant plus qu’il est rarement possible d’obtenir de l’aide de la part des professionnels de la santé. En effet, ces derniers ne sont pas formés pour ces dispositifs, et l’absence de validation par Santé Canada peut avoir des implications légales.
Compte tenu des bénéfices mentionnés, le consensus indique que malgré les obstacles légaux, le professionnel de la santé devrait en parler aux personnes qui pourraient en bénéficier.
Recommandations pour un meilleur accompagnement
Puisque les systèmes «non-commerciaux» constituent des traitements sûrs et efficaces, le consensus souligne l’importance que les professionnels de la santé puissent accompagner adéquatement les personnes qui les utilisent (ou souhaitent les utiliser).
Voici quelques recommandations dans ce sens:
- Valider les prérequis. S’assurer que la personne qui souhaite débuter un système «non-commercial» ait l’information nécessaire pour faire un choix éclairé. Il est recommandé que la personne ait déjà une expérience préalable avec les technologies utilisées (pompe à insuline et lecteur de la glycémie en continu) avant de commencer.
- Soutenir le processus d’initiation: S’assurer que l’utilisateur comprenne bien les fonctionnalités du système. Le professionnel peut également aider à l’ajustement des paramètres de la pompe à insuline. Il existe également diverses ressources en ligne (p.ex. réseaux de soutien par les pairs) pour aider à l’utilisation du système.
Stratégies pour l’utilisation de ces systèmes
En plus des recommandations aux professionnels de la santé, le consensus propose également des stratégies pour une utilisation optimale de ces systèmes.
En voici quelques exemples:
- Consommation de glucides: Tous les glucides consommés (y compris ceux pour traiter l’hypoglycémie) doivent toujours être saisis dans le système.
- Objectifs glycémiques: Puisque la cible glycémique est personnalisable, il est conseillé de débuter avec une cible de 6.0-6.5 mmol/L, afin d’éviter les hypoglycémies. Cette valeur peut être ajustée par la suite.
- Gestion de l’hypoglycémie: Si le système a suspendu l’administration d’insuline pendant une période prolongée, il est possible que moins de glucides soient requis qu’habituellement pour le traitement de l’hypoglycémie.
- Durée d’action de l’insuline: La durée d’action de l’insuline utilisée dans les systèmes «non-commerciaux» (généralement 5 à 7 heures pour l’insuline à action rapide) est différente de la durée d’action de l’insuline utilisée dans la plupart des systèmes «commerciaux» (généralement 2 à 5 heures pour l’insuline à action rapide). Généralement les personnes débutent avec une durée de 5h puis cette valeur est ensuite personnalisée.
- Moment du bolus d’insuline: Comme pour la prise en charge conventionnelle, il est important d’effectuer le bolus avant le repas. En cas de bolus donné tardivement, le système aura commencé à majorer le débit de base pour tenter de limiter l’hyperglycémie. Ces bolus tardifs peuvent donc occasionner une hypoglycémie.
D’autres stratégies sont également abordées concernant la gestion de la glycémie avec ces systèmes durant les jours de maladies, l’activité physique, la grossesse, les diètes faibles en glucides, etc. Parmi ces stratégies, la prévention des hypoglycémies associées à l’activité physique semble nécessiter encore beaucoup d’ajustements et d’anticipations de la part des utilisateurs.
Ce consensus est donc l’occasion pour les professionnels de se familiariser avec le fonctionnement, les composantes et les termes utilisés par ces systèmes, et de prendre connaissance de certaines recommandations cliniques afin d’aider les personnes vivant avec le DT1 qui utilisent (ou souhaitent utiliser) ces systèmes.
Les systèmes «non-commerciaux» sont souvent plus complexes à utiliser que les systèmes «commerciaux» et demandent ainsi davantage d’implication dans la gestion du diabète. Les personnes qui utilisent ces systèmes devraient pouvoir en discuter ouvertement avec leur équipe de soins qui devrait, de son côté, respecter l’autonomie et le choix de la personne. Le partage et l’accès aux données peut aussi être un enjeu puisque cela nécessite que l’équipe clinique se familiarise avec d’autres logiciels.

Et les études ?
Il est difficile de déterminer scientifiquement si les systèmes «non-commerciaux» sont égaux ou supérieurs aux systèmes «commerciaux» en termes de gestion de la glycémie et de l’amélioration de l’hémoglobine glyquée (HbA1c), car il n’y a pas encore eu d’études qui assigne l’un ou l’autres des systèmes aux participants afin de les comparer.
Cependant, les études observationnelles sur les personnes qui utilisent déjà ces systèmes indiquent que ces technologies semblent sécuritaires et permettent d’obtenir un contrôle de la glycémie au moins équivalent à celui que procurent les systèmes commerciaux. Il faudra d’autres études pour en savoir plus et comparer davantage les deux méthodes.
Une étude est actuellement en cours à l’Institut de recherche clinique de Montréal (IRCM) dans ce but. En savoir plus.

Les 10 points clefs du consensus
- Un traitement sûr et efficace. Il existe des observations qui suggèrent que les systèmes «non-commerciaux» constituent un traitement sûr et efficace pour les personnes vivant avec le DT1
- Une visée large. Les systèmes «non-commerciaux» peuvent aider une large partie des personnes vivant avec le DT1
- Respect de l’autonomie. Les professionnels de la santé devraient soutenir les personnes vivant avec le DT1 qui choisissent d’utiliser les systèmes «non-commerciaux».
- Renforcement des connaissances. Les professionnels de la santé devraient essayer de se renseigner sur toutes les options de traitement qui pourraient bénéficier aux personnes atteintes de diabète y compris les systèmes «non-commerciaux».
- Coopération entre professionnels de la santé. Si le professionnel de la santé ne se sent pas apte à conseiller adéquatement l’utilisateur, il devrait demander du soutien à un autre professionnel de la santé.
- Transparence des systèmes. Tous les systèmes d’administration automatisée de l’insuline y compris les «commerciaux» devraient divulguer entièrement leur mode de fonctionnement pour favoriser une prise de décision éclairée et une meilleure compréhension des limites et avantages des différents systèmes.
- Pas de support technique mais un support communautaire. Les systèmes «non-commerciaux» n’ont pas fait l’objet des mêmes évaluations que les systèmes «commerciaux». Il n’y a donc pas de support technique, mais un support communautaire est disponible.
- Fixer des objectifs et éviter l’hypoglycémie. Afin de favoriser une bonne utilisation des systèmes «non-commerciaux» il est important de clarifier les objectifs de l’utilisateur, de définir des attentes réalistes et d’optimiser le système pour prévenir l’hypoglycémie.
- Clarifier la position réglementaire. Le consensus encourage les autorités et les organisations représentatives des professionnels de la santé à s’appuyer sur le consensus et ses preuves pour mettre à jour le cadre juridique entourant ces systèmes.
- Prendre en compte les preuves du monde réel. Les données d’observation concernant ces systèmes sont rassurantes.
Référence:
- Braune, K., Lal, R. A., Petruželková, L., Scheiner, G., Winterdijk, P., Schmidt, S., Raimond, L., Hood, K. K., Riddell, M. C., Skinner, T. C., Raile, K., & Hussain, S. (2021). Open-source automated insulin delivery: International consensus statement and practical guidance for health-care professionals. The Lancet Diabetes & Endocrinology. https://doi.org/10.1016/s2213-8587(21)00267-9