fbpx

Insuline et cancer : y a-t-il un lien?

Dans les dernières années, des études ont observé un risque plus élevé de survenue de certains cancers chez les personnes vivant avec le diabète de type 1 (DT1) et de type 2 (DT2), comparé à la population générale.

Si les études ont, dans le cas du DT2, relié ce risque accru à la présence de certains facteurs métaboliques tels que l’obésité ou la résistance à l’insuline (c’est-à-dire la diminution de l’effet de l’insuline), aucune explication n’a jusqu’alors été identifiée dans le cas du DT1. Des résultats parus récemment apportent cependant de nouveaux éléments. 

Utilisant les données d’une étude d’envergure, des chercheurs ont voulu observer si un lien pouvait être fait entre la quantité d’insuline utilisée par 1 303 personnes vivant avec le DT1 et la survenue de cancer. 

Les participants étaient suivis dans le cadre du Diabetes Control and Complications Trial (DCCT) et de l’étude Epidemiology of Diabetes Interventions and Complications (EDIC), 2 bases de données existant depuis les années 1980. Ces études avaient pour but principal d’observer la survenue de complications dans le temps.

Plus de cancer chez les personnes ayant des doses élevées d’insuline

Au cours du suivi effectué pendant environ 28 ans, 93 (7 %) participants ont reçu un diagnostic de cancer. Ces participants étaient en moyenne âgés de 50 ans et vivaient avec le DT1 depuis 25 ans au moment du diagnostic de cancer. Sur les 93 participants ayant reçu un diagnostic de cancer, 61 % étaient des femmes et 39 % étaient des hommes. 

Si l’étude montre de fait que les femmes sont plus à risque que les hommes, celle-ci met en lumière un autre facteur de risque possible : les fortes doses quotidiennes d’insuline.

En effet, en se basant sur la dose moyenne d’insuline administrée dans une journée (appelée dose totale quotidienne d’insuline), les participants de l’étude ont été classés selon trois catégories :

  • Doses faibles : moins de 0,5 unité/kg par jour
  • Doses moyennes : entre 0,5 et 0,8 unité/kg par jour 
  • Doses fortes : plus de 0,8 unité/kg par jour 

Pour les besoins de l’étude, ces catégories ont été définies en fonction d’un nombre d’unités par kilogramme par jour. Ce nombre se calcule en divisant la dose totale quotidienne d’insuline par le poids (kg).

Par exemple : Si une personne pèse 67 kg (147 lb) et qu’elle s’administre dans une journée environ :
12 unités d’insuline basale
4 unités d’insuline rapide au déjeuner
3,5 unités d’insuline rapide au dîner
5 unités d’insuline rapide au souper

Sa dose totale quotidienne est de : 12 + 4 + 3,5 + 5 = 24,5 unités par jour.
Pour déterminer son nombre d’unités/kg par jour elle doit donc diviser sa dose totale quotidienne par son poids, c’est-à-dire : 24,5 ÷ 67 ≅ 0,36 unité/kg par jour

Les chercheurs ont ensuite étudié l’association entre la dose quotidienne d’insuline et la survenue de cancer. Ils ont ainsi constaté que plus celle-ci était élevée, plus le nombre de cas de cancer augmentait. Le nombre de cas de cancer était en effet significativement plus élevé chez les participants qui avaient de fortes doses d’insuline comparativement à ceux qui avaient de faibles doses. 

Cependant, le nombre de participants était trop petit et le nombre de cancer en proportion était trop faible pour affirmer le lien entre les doses d’insuline quotidienne et la survenue de cancer. Pour ces mêmes raisons, il n’était pas possible d’identifier des types de cancer en particulier. 

Des mécanismes complexes

Cette constatation ne s’observe toutefois pas que chez les personnes vivant avec le DT1. En effet, l’insuline étant une hormone naturellement produite par le corps (sauf pour les personnes vivant avec le DT1 qui doivent se l’administrer), il est intéressant de noter que d’autres études ont constaté ce phénomène chez les personnes n’ayant pas de diabète et qui, pour différentes raisons (p. ex. obésité, vieillissement, sédentarité, présence de résistance à l’insuline), avaient des niveaux d’insuline élevés dans le sang. 

Des niveaux élevés d’insuline dans le sang combinés à une résistance à l’insuline pourraient, selon certaines études, promouvoir le développement ou la progression d’un cancer. L’insuline est en effet une hormone qui favorise le stockage de nutriments et le développement des cellules, dont certaines malheureusement, peuvent parfois dégénérer en cancer. 

Le processus inflammatoire chronique présent dans le DT1 peut également jouer un rôle dans les besoins en insuline (plus il y a d’inflammation et plus les besoins sont élevés). On pourrait ainsi se demander si ce ne serait pas le degré d’inflammation qui influencerait le risque de cancer, plutôt que la dose en soi. 

Puisque les facteurs de risques sont nombreux (p. ex. surpoids, sédentarité) et que les mécanismes qui entourent le développement d’un cancer sont complexes, il est difficile de conclure avec cette nouvelle étude que des doses élevées d’insuline augmentent le risque de survenue d’un cancer.

Est-il possible de réduire les besoins en insuline?

Avant toute chose, il est important de noter que le corps de chaque personne est différent, incluant les besoins en insuline et le risque de développer certains cancers. Certains facteurs (p. ex. génétiques) ne peuvent pas être modifiés.

Si vous vivez avec le DT1 et que vous avez des inquiétudes concernant vos doses d’insuline, n’hésitez pas à aborder le sujet avec votre équipe de soins. Ils pourront vous aider à faire le point sur la situation et à trouver des solutions. 

Voici quelques exemples de stratégies qui peuvent aider à augmenter l’efficacité, et ainsi diminuer, les besoins en insuline :

  • S’aider des technologies. Certaines technologies comme les systèmes de boucle fermée hybride permettent, grâce à l’ajustement automatique de certains paramètres et de la lecture de la glycémie en continu, d’obtenir des doses d’insuline plus proches des besoins réels.
  • Tenter de diminuer le nombre d’hypoglycémies. En effet, il n’est pas rare de devoir administrer de l’insuline pour une glycémie élevée après la correction d’une hypoglycémie. De plus, les glucides consommés pour corriger l’hypoglycémie peuvent favoriser la prise de poids et donc diminuer l’efficacité de l’insuline. Pour limiter les hypoglycémies, les lecteurs de la glycémie en continu (p. ex. Dexcom, Freestyle Libre) permettant de recevoir des alertes (avant/au moment de l’hypoglycémie) sont d’excellents outils. Certaines insulines peuvent également permettre de diminuer le risque d’hypoglycémie.
  • Pratiquer régulièrement une activité physique.
  • Améliorer la qualité de l’alimentation (p. ex. limiter les aliments transformés, riches en glucides et en gras).
  • Éviter d’injecter l’insuline dans des lipodystrophies.
  • Trouver des stratégies pour réduire le stress.
  • Parler avec votre équipe de soins. Il existe certains médicaments habituellement utilisés pour le diabète de type 2 qui peuvent parfois être combinés à l’insuline.

Pour résumer, il existe énormément de facteurs pouvant influencer la survenue d’un cancer. D’autres études seront nécessaires pour vérifier s’il existe réellement un lien entre doses d’insuline et survenue de cancer et pour mieux comprendre les mécanismes sous-jacents. Cette étude nous incite cependant à réfléchir à des stratégies permettant de diminuer la quantité d’insuline nécessaire chez les personnes vivant avec le DT1 qui utilisent de fortes doses, tout en ne perdant pas de vue les objectifs glycémiques.

Références :

  • Zhong W, Mao Y. Daily Insulin Dose and Cancer Risk Among Patients With Type 1 Diabetes. JAMA Oncol. Published online July 28, 2022. doi:10.1001/jamaoncol.2022.2960
  • Carstensen, B., Read, S.H., Friis, S. et al. Cancer incidence in persons with type 1 diabetes: a five-country study of 9,000 cancers in type 1 diabetic individuals. Diabetologia 59, 980–988 (2016). https://doi.org/10.1007/s00125-016-3884-9
  • Major JM, Laughlin GA, Kritz-Silverstein D, Wingard DL, Barrett-Connor E. Insulin-Like Growth Factor-I and Cancer Mortality in Older Men. J Clin Endocrinol Metab. 2010 Jan 15.
  • Roddam AW, Allen NE, Appleby P, Key TJ, Ferrucci L, Carter HB, Metter EJ, Chen C, Weiss NS, Fitzpatrick A, Hsing AW, Lacey JV Jr, Helzlsouer K, Rinaldi S, Riboli E, Kaaks R, Janssen JA, Wildhagen MF, Schröder FH, Platz EA, Pollak M, Giovannucci E, Schaefer C, Quesenberry CP Jr, Vogelman JH, Severi G, English DR, Giles GG, Stattin P, Hallmans G, Johansson M, Chan JM, Gann P, Oliver SE, Holly JM, Donovan J, Meyer F, Bairati I, Galan P. Insulin-like growth factors, their binding proteins, and prostate cancer risk:analysis of individual patient data from 12 prospective studies. Ann Intern Med. 2008 Oct 7;149(7):461-71, W83-8.
  • Godsland, Ian F. “Insulin resistance and hyperinsulinaemia in the development and progression of cancer.” Clinical science (London, England : 1979) vol. 118,5 315-32. 23 Nov. 2009, doi:10.1042/CS20090399

Écrit par: Sarah Haag RN. BSc.

Révisé par:

  • Maha Lebbar, MD, Msc candidate
  • Amélie Roy-Fleming Dt.P., EAD, M.Sc.
  • Rémi Rabasa-Lhoret, MD, Ph. D.
  • Anne-Sophie Brazeau RD, Ph. D.
  • Sonia Fontaine, Jacques Pelletier, Marie-Christine Payette, Aude Bandini, patients-partenaires du projet BETTER

Révision linguistique réalisée par: Marie-Christine Payette