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Faire le deuil d’une vie sans diabète pour son enfant

Pour le parent, comme pour l’enfant, le diagnostic de diabète de type 1 (DT1) constitue un grand bouleversement. En effet, cette annonce est généralement précédée par une période où l’enfant développe soudainement des symptômes (p. ex. soif, perte de poids, miction fréquente) ou des comportements inhabituels (p. ex. fatigue, excitation). Bien que ces symptômes puissent occasionner de l’inquiétude pour la famille, ils sont souvent banalisés dans un premier temps (p. ex. pris pour des signes de croissance) ou mal diagnostiqués (p. ex. pris pour une simple gastro ou du stress). L’absence de prise en charge mène alors au développement d’une acidocétose diabétique et de symptômes plus importants (p. ex. vomissements), avant que tombe le diagnostic : «C’est un diabète de type 1». 

Si comprendre l’origine des symptômes et comportements inhabituels peut, dans un premier temps, être source de soulagement pour le parent, l’annonce du diagnostic demeure cependant la confirmation brutale que la vie de l’enfant ne sera plus jamais comme avant, et qu’une nouvelle aventure pour laquelle il n’existe aucune carte de navigation commence.

Adapter la vie familiale

Il est quasiment impossible de comprendre et d’imaginer à quoi ressemble la vie avec le DT1 avant d’y être confronté. L’idée erronée que le diabète est banal, qu’il « n’est pas grand chose » et qu’il est possible de le contrôler en limitant ceci ou cela, ou en se mettant à faire un peu de sport, est vite balayée par la réalité. 

Dès le diagnostic, les multiples soins dont,  notamment, la mesure de la glycémie et l’administration d’insuline viennent rythmer la journée et la nuit ainsi qu’une charge mentale entourant la gestion du DT1 qui s’installe petit à petit (p. ex. craindre de ne pas faire «ce qu’il faut» et de voir apparaître d’éventuelles complications, gérer les rendez-vous médicaux, etc.).

Il faut alors adapter la vie familiale, réorganiser le quotidien, revoir les rôles (p. ex. qui prend congé pour les rendez-vous, qui s’occupe des tâches en lien avec le DT1) et prendre en compte les émotions de chacun. Ce bouleversement implique également de devenir, du jour au lendemain, le «soignant» de son enfant avec tout ce que cela suppose, comme par exemple de faire mal (p. ex. glycémie capillaire, injections d’insuline) ou encore de poser des limites (p. ex. arrêter de manger des bonbons, sortir de l’eau à la piscine parce que le capteur se décolle ou qu’il y a trop longtemps que la pompe est déconnectée). 

À la suite du diagnostic, une période plus ou moins longue et remplie de questionnements, qui restent parfois sans réponse, s’installe. De nombreux parents peuvent alors avoir l’impression d’être seuls au monde avec un enfant «différent», ressentir de la culpabilité ou de la honte, vivre de la stigmatisation, se sentir abandonnés par leurs proches ou submergés par les émotions. 

Vivre ses émotions 

Puisque chaque personne a une perception du diabète qui lui est propre, les réactions face au diagnostic peuvent être très différentes au sein d’une même famille. Les études démontrent d’ailleurs que les réactions des parents ne sont pas reliées à la façon dont l’enfant fait face à la situation. 

Certains parents ressentiront le besoin de parler de leurs émotions, tandis que d’autres seront plus réservés. 

Le diagnostic de DT1 s’accompagne souvent d’un grand sentiment de perte (p. ex. perte de la spontanéité, perte de la liberté, perte de la santé de l’enfant), et peut donc entraîner toute une gamme d’émotions chez les parents (p. ex. colère, incompréhension, tristesse, injustice, désarroi).

Il est tout à fait normal de ressentir ces émotions

Pour le bien de l’enfant, et parfois motivés par des réflexions telles que «Soyez positifs! Il n’y a pas d’autres choix», certains parents adoptent une attitude calme et positive. Cependant, ceci n’est pas toujours faisable, ni même souhaitable. Dans certains cas, refouler ses émotions pendant un certain temps peut avoir un effet de «soupape», c’est-à-dire de créer une accumulation des tensions, jusqu’à ce que la pression soit trop forte et que les émotions finissent par ressortir. De plus, une attitude toujours positive peut donner l’impression à l’enfant, qui trouve certains aspects de sa situation difficiles, que ses sentiments ne sont pas valides et qu’il s’agit d’un échec. Valider les émotions vécues par l’enfant (p. ex. «oui, c’est difficile», «oui c’est beaucoup de contrôle à ton âge») permet ainsi de faire sentir à l’enfant qu’il est compris et que son expérience est prise au sérieux. Il est ensuite possible de déterminer ensemble une stratégie pour faire face à la situation.

Les étapes du deuil

Après un tel diagnostic, la plupart des parents traversent plusieurs étapes émotionnelles qui s’apparentent aux étapes observées dans le processus de deuil. Il ne s’agit bien évidemment pas ici du deuil de la perte d’un proche, mais du deuil de la vie d’avant et des espoirs futurs pour son enfant.

Chaque deuil est unique et les étapes citées ici constituent davantage des points de repère qu’un parcours obligé par lequel tout le monde devrait passer et qui serait linéaire. 

Ce cheminement n’est par ailleurs pas définitif puisque les aléas de la vie peuvent parfois conduire à revivre certaines de ces étapes.

  • Le choc/ le déni

«Ce n’est pas possible, personne n’a eu de diabète dans nos familles»

«Si j’arrive à contrôler ce que mon enfant mange, je pourrai minimiser l’insuline dont il a besoin»

Cette première étape fait suite au diagnostic et se caractérise par la négation ou la banalisation de l’existence même du diabète, de sa chronicité, et de la nécessité du traitement.

  • L’indignation/ la révolte

«Pourquoi mon enfant?»

«Ce n’est pas juste!»

Lors de cette étape, le diabète et son traitement sont perçus comme une injustice. Le parent réalise la menace, mais également les aspects négatifs du traitement en lien avec le diabète. Face à ce sentiment d’injustice, le parent peut être amené à en vouloir aux autres, à reporter la faute de ce qui lui arrive à l’extérieur de soi, et ressentir de la colère, de la révolte et de la frustration. 

  • La négociation /le marchandage

«Si je prends tout en charge, je pourrai enlever ce fardeau à mon enfant»

Lors de cette étape, le parent cherche à diminuer son sentiment d’impuissance en tentant d’avoir du «contrôle» sur le diabète de son enfant.

  • La réflexion /la résignation ou les sentiments dépressifs

Cette étape précède celle de l’acceptation. Le parent réalise l’aspect chronique du DT1 et prend conscience des pertes qui seront définitives pour son enfant. (p. ex. réaliser qu’il devra, pour toujours, surveiller chaque bouchée de nourriture qui entre dans sa bouche). Cette prise de conscience peut amener la personne à ressentir de la tristesse, une grande fatigue et même des symptômes dépressifs. 

  • L’acceptation

À cette étape, le parent atteint une perception plus réaliste du diabète et de son traitement, et décide de prendre des actions concrètes pour en tenir compte au jour le jour. Il réalise que son enfant pourra maintenir un bien-être psychologique et une vie sociale satisfaisante, en s’impliquant dans le traitement et en développant ses connaissances en lien avec le DT1. Il ne s’agit pas ici d’être «d’accord» avec le fait que l’enfant vive avec cette condition, mais davantage d’accepter de faire ce qui est recommandé pour la gestion du DT1. 

Parfois, en essayant d’accepter et de gérer la confusion et la détresse de leur enfant face au diagnostic, les parents peuvent tenter d’ignorer leurs émotions difficiles, de paraître calmes et de faire semblant de faire face à la maladie. Peu importe où le parent se trouve dans ce cheminement, l’équipe de soins, l’entourage ou encore d’autres personnes qui vivent avec le DT1 peuvent être de bonnes ressources pour trouver des réponses aux questionnements, aider à comprendre les émotions vécues et les étapes traversées, dans le but de parvenir à s’adapter et trouver un équilibre dans cette nouvelle réalité.

Références:

  • Kovacs, M et al. “Initial coping responses and psychosocial characteristics of children with insulin-dependent diabetes mellitus.” The Journal of pediatrics vol. 106,5 (1985): 827-34. doi:10.1016/s0022-3476(85)80368-1
  • Bowes, Susan et al. “Chronic sorrow in parents of children with type 1 diabetes.” Journal of advanced nursing vol. 65,5 (2009): 992-1000. doi:10.1111/j.1365-2648.2009.04963.x
  • Le diabète chez l’enfant et l’adolescent / Louis Geoffroy, Monique Gonthier, Chapitre «L’adaptation au diabète»  — Montréal : Éditions du CHU Sainte-Justine, ©2012

ÉCRIT PAR: Sarah Haag RN. BSc.

RELECTURE:

  • Amélie Roy-Fleming Dt.P., EAD, M.Sc.
  • Aude Bandini, patiente-partenaire, vit avec le DT1 depuis 1991
  • Marie-Christine Payette, patiente-partenaire, vit avec le DT1 depuis 1988
  • Michel Dostie, patient-partenaire, vit avec le DT1 depuis 1991
  • Eve Poirier, patiente-partenaire, vit avec le DT1 (LADA) depuis 2018
  • Claude Laforest, patient-partenaire, vit avec le DT1 depuis 1984
  • Laurence Secours, patiente-partenaire, vit avec le DT1 depuis 1994
  • Nathalie Kinnard, mère d’un enfant qui vit avec le diabète depuis 2018
  • Alec Courchesne, patient-partenaire, vit avec le DT1